Homélie du mercredi 22 février 2023 (Mt 6, 1-18)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
« Ce que vous faites pour devenir des justes,
évitez de l’accomplir devant les hommes
pour vous faire remarquer.
Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous
auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l’aumône,
ne fais pas sonner la trompette devant toi,
comme les hypocrites qui se donnent en spectacle
dans les synagogues et dans les rues,
pour obtenir la gloire qui vient des hommes.
Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu fais l’aumône,
que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite,
afin que ton aumône reste dans le secret ;
ton Père qui voit dans le secret
te le rendra.
Et quand vous priez,
ne soyez pas comme les hypocrites :
ils aiment à se tenir debout
dans les synagogues et aux carrefours
pour bien se montrer aux hommes
quand ils prient.
Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu pries,
retire-toi dans ta pièce la plus retirée,
ferme la porte,
et prie ton Père qui est présent dans le secret ;
ton Père qui voit dans le secret
te le rendra.
Et quand vous jeûnez,
ne prenez pas un air abattu,
comme les hypocrites :
ils prennent une mine défaite
pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent.
Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu jeûnes,
parfume-toi la tête et lave-toi le visage ;
ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes,
mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ;
ton Père qui voit au plus secret
te le rendra. »
– Acclamons la Parole de Dieu.
Homélie
Dans un instant, nous allons recevoir un peu de cendre sur la tête. C’est une manière très concrète de dire à ceux qui nous regardent : “Ma vie, pour une grande part, c’est de la poussière, du vent, de l’insignifiance”.
En effet, si je retire le temps que je sacrifie aux écrans, celui que je consacre à mes loisirs ; si je retire de ma vie les longues heures passées à jouer, quand j’étais enfant ; si je retire les bavardages, les relations superficielles, les séries Netflix, les pauses café au bureau, les heures perdues à attendre le train… que reste-t-il ? Que reste-t-il de tout cela, qui ait un peu de poids ?
Nous devrions recevoir les cendres à la première heure du jour et porter ce trait de poussière sur le front jusqu’au soir, comme une déclaration faite à toutes les personnes que nous aurions croisées sur notre chemin. Recevoir les cendres, c’est comme écrire sur notre front en lettres capitales : “Je suis poussière ; je suis une ombre qui passe, affairée sans rien faire”.
Au soir de notre vie, quand viendra l’heure du jugement, nous serons jugés sur l’amour : “J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.
J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.
J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, je ne suis rien”.
Si nous voulons sortir de l’inconsistance et devenir quelqu’un, si nous voulons qu’il reste quelque chose de nous-mêmes au terme du chemin… Il faut aimer. Et aimer, c’est donner sa vie. Étrange : si je veux que ma vie ait un peu de consistance, je dois l’offrir, la sacrifier, la perdre ! Au fond, d’une manière ou d’une autre, je serai poussière : poussière de vacuité… ou poussière d’offrande. De moi, à coup sûr, il ne restera rien… mais ce rien peut peser beaucoup : ce peut être le rien de la charité, celui de la gloire, celui de l’éternité. Le rien de Dieu, le Néant qu’est Dieu.
Puisqu’il faut aimer, le Carême donne trois objets à notre amour. L’aumône, la prière et le jeûne nous ramènent aux trois seules réalités qui ne disparaissent pas. Le Seigneur nous demande de les vivre sans hypocrisie, sans comédie : l’aumône, la prière, le jeûne.
A quoi servent-elles ? La prière nous rattache à Dieu ; la charité au prochain ; le jeûne à nous-mêmes. Dieu, les frères, ma vie. Voilà les réalités qui ne finissent pas dans le néant et dans lesquelles il faut investir. Voilà où le Carême nous invite à regarder :
Vers le haut, avec la prière qui nous libère d’une vie horizontale, plate où l’on trouve du temps pour soi mais pas pour Dieu.
Vers l’autre, avec le service qui oriente toutes nos relations au bien de l’autre plutôt qu’à la satisfaction de notre ego.
Vers l’intérieur, avec le jeûne. Ce jeûne qui nous fait enfin ressentir l’insatisfaction et le manque. Ce jeûne sans lequel je ne peux trouver la motivation et la force suffisantes pour combler la distance qui me sépare de Dieu et de mon frère.
Tout commence avec le jeûne. Si nous sommes trop pleins de nous-mêmes, de nourriture, de confort ou de distraction, nous n’avancerons pas. Nous resterons poussière de vacuité.
Le jeûne, c’est notre pénitence. La pénitence n’a rien d’un châtiment ou d’une peine. Le mot pénitence vient du latin paene qui signifie “ne pas avoir assez, manquer de quelque chose ou de quelqu’un”. C’est la même racine que le mot pénurie... Nous sommes en pénurie ; et le jeûne est le seul exercice qui puisse nous rendre la conscience que nous sommes en pénurie de Dieu, que nous n’avons pas assez de Dieu et que notre frère, lui aussi, nous manque.
C’est cette démarche que chacun est appelé à faire, dans le secret. Faire l’aumône en secret, prier en secret, jeûner en secret. Ainsi, notre poussière de vacuité deviendra poussière de gloire, trésor dans l’éternité.
Amen.
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